La violoniste américaine fait honneur à la capitale de la création qui lui tient tant à cœur et l’a si bien inspirée, semble-t-il dans ce disque.

« Paris »
Chausson : Poème.
Prokofiev : Concerto n° 1.
Rautavaara : Two Serenades
Hilary Hahn (violon),
Orchestre philharmonique de Radio France,
dir. Mikko Franck
Deutsche Grammophon 4839 847. 2019. 1 h 13

Ceux qui considèrent le jeu de Hilary Hahn parfois scolaire vont devoir réviser leur jugement. La violoniste américaine offre dans le Poème de Chausson une interprétation très libre, laissant résonner les silences, soutenue par cette technique infaillible et flamboyante qu’elle déploie à chacun de ses concerts. Dès le début, le violon vibre peu, ce qui donne beaucoup de naturel à cette pièce souvent jouée d’une manière plus « intentionnée » et larmoyante. L’orchestre sous la direction de Mikko Franck prend le relais dans le même esprit, créant une atmosphère lumineuse. Ce style direct, sans pathos, mais intense, rappelle le superbe enregistrement de Christian Ferras avec l’Orchestre national de Belgique et Georges Sébastian (Decca, 1953).

ANCRÉ DANS LA CORDE

Hilary Hahn considère le Concerto n° 1 de Prokofiev, l’un des plus beaux du répertoire, écrit de telle manière que l’auditeur est constamment tenu en haleine, comme son œuvre fétiche. On salue à nouveau ce jeu toujours timbré, même lorsqu’il s’agit de jouer pianissimo dans l’extrême-aigu, et une large palette sonore qui réunit aussi bien des graves rugueux que des aigus scintillants. La violoniste et le chef creusent davantage les contrastes que dans la belle version de Julia Fischer avec l’Orchestre national russe et Yakov Kreizberg (Pentatone, 2004) et on apprécie ce jeu ancré dans la corde, qui frappait aussi dans l’enregistrement de Gil Shaham avec l’Orchestre symphonique de Londres et André Previn (Deutsche Grammophon, 1995). La partition est servie avec beaucoup de caractère, de panache et d’assurance, malgré des passages que Hilary Hahn, dans le livret, reconnaît presque injouables. Ainsi, dans le Scherzo, pendant que l’orchestre se lance dans une marche, les petites notes au violon doivent être très sonores alors qu’il y a en même temps des changements d’accentuation. Redoutable ! Le disque se clôt sur deux pages d’Einojuhani Rautavaara (1928-2016), dont Hilary Hahn réalise le premier enregistrement mondial. En 2014, elle avait demandé au compositeur finlandais de lui écrire un concerto, mais sa mauvaise santé l’en empêcha. Il écrira à la place ces Deux Sérénades dont l’orchestration sera complétée à titre posthume par Kalevi Aho. Hilary Hahn les créera à Paris en février 2019 avec l’Orchestre philharmonique de Radio France et Mikko Franck, en clôture du Festival Présences. Le premier accord de l’orchestre dans la Sérénade pour mon amour suffit à nous emmener dans les forêts finlandaises. Au violon, quelle intensité dans la main gauche et quel calme de l’archet! Ces deux sérénades, superbement orchestrées, ultime composition de Rautavaara avant sa mort, ont une incontestable dimension spirituelle, comme s’il s’agissait d’un testament musical.