A quoi sert un orchestre ? Question dérisoire sinon totalement vaine, pour vous qui nous lisez chaque mois. Mais jouons le jeu.
Si la question se posait, que répondrait-on ? D’abord qu’un orchestre, évidemment, est là pour jouer et défendre le répertoire. Être le porte-voix des compositeurs, révéler les œuvres qui nous transportent, nous élèvent, bref, faire résonner la musique qui transfigure le monde. C’est déjà beaucoup. Et justifierait à lui seul l’existence de cette « grande conquête du monde civilisé, [ce] bien de l’humanité », pour citer Christian Merlin*.
Dans un second temps, on dirait qu’un orchestre peut être aussi un merveilleux facteur d’intégration sociale, de dépassement de soi, d’accès à la beauté, bref, une entité organique promouvant une micro-société idéale basée sur le travail, l’écoute, le dialogue, l’épanouissement personnel autant que l’abnégation – El Sistema a parmi d’autres prouvé son impact miraculeux sur les jeunes et les populations défavorisées. Dans l’époque que nous traversons, la question du rôle de l’orchestre n’est peut-être pas si anodine.

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En feuilletant la brochure 2020/2021 de l’Orchestre de chambre de Paris, il est frappant de noter à quel point la phalange, fondée en 1978 par Landowski pour promouvoir le répertoire classique et contemporain à Paris, entend se définir davantage par ses actions sociales en dehors du périmètre codé de la salle de concert que par rapport à la défense d’un répertoire ou d’une esthétique. Dans l’entretien que nous accorde le chef-pianiste Lars Vogt (page 12), le nouveau directeur de l’ensemble parisien prise « une démarche citoyenne, marque de fabrique de l’Orchestre ». Quoi de plus admirable, il est vrai, que d’aller jouer dans les prisons, favoriser la réinsertion, aider les populations en difficulté à s’ouvrir aux trésors musicaux, et, qui sait, susciter des vocations !
C’est certes important, mais ça ne saurait résumer tout ce que l’on peut attendre d’un orchestre. Car sur ce volet, les efforts de communication impressionnent : on en viendrait à croire qu’un orchestre est aujourd’hui boiteux s’il ne fait que jouer Mozart dans une salle de concert ! « En 2020, un orchestre doit être à l’écoute de la société », estime Brigitte Lefèvre, présidente du conseil d’administration. Un point de vue bien différent de cette injonction que l’on prête à George Szell : « La seule justification au financement d’un orchestre est qu’il joue les œuvres du répertoire et assure la création des œuvres nouvelles au plus haut niveau de qualité possible. » Où placer aujourd’hui le curseur ?
*Au cœur de l’orchestre, Fayard, 2012