Hervé Niquet reprend la route de la Manche. Sans verser dans les mêmes folies qu’à la scène, il tire ici profit des possibilités du disque.
La création de Don Quichotte chez la Duchesse à l’Académie royale de musique le 12 février 1743 connut un succès fracassant puis tomba dans l’oubli quelques siècles plus tard. Cet opéra-ballet est pourtant hautement original, à la différence des œuvres précédentes de Boismortier, où il imite les autres, et des suivantes, où il s’imite lui-même. Pour réussir cette partition pleine d’audace et de fantaisie, le compositeur a trouvé en Charles-Simon Favart un librettiste habile, dont le verbe efficace fait son miel du chef-d’œuvre de Cervantès par le prisme des multiples parodies dont il fut l’objet aux XVIIe et au XVIIIe siècles. L’ouverture à la française nous mène au seuil d’une farce d’un genre nouveau, folle journée au cours de laquelle Le Chevalier à la triste figure croise monstres, enchanteurs et princesses. Après s’être fait moquer par les courtisans, Quichotte se verra célébré au Japon pour son courage et ses vertus.
Un retour à la source pour Hervé Niquet, ambassadeur attitré de la partition qu’il enregistra pour la première fois en 1996 (Naxos) avant de l’emporter en tournée aux côtés des amis Shirley et Dino. S’il ne verse pas ici dans les mêmes délires qu’à la scène (où Star Wars et La Piste aux étoiles s’invitaient durant les divertissements), le chef tire profit des possibilités du disque, avec le mugissement léonin du vilain monstre, des phénomènes de spatialisation et d’échos. Il a su s’entourer d’une pléiade de chanteurs dont l’excellence surclasse la précédente version : le ténor Mathias Vidal a le style et les vocalises bravaches de ce Don Quichotte baroque auquel le Sancho de Jean-Gabriel Saint-Martin (Gabriel Bacquier, le cheveu sur la langue en plus) donne la réplique irrésistible – sa vis comica éclate en proverbes populaires dispensés à tort et à travers. Chantal Santon-Jeffery est une Altisidore tout en dentelles, tandis que la Nicolas Brooymans et Camille Poul endossent avec succès leurs différents personnages. Le Concert Spirituel réagit comme un seul homme à la battue énergique du chef. Est-il meilleur remède à la mélancolie ?

Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755)
Don Quichotte chez la Duchesse
Mathias Vidal (Don Quichotte), Jean-Gabriel Saint-Martin (Sancho Panza), Chantal Santon-Jeffery (Altisidore), Nicolas Brooymans (Montesinos), Camille Poul (La Paysanne), Charles Barbier (Amant), Le Concert Spirituel, dir. Hervé Niquet
Château de Versailles Spectacles CVS075
2020. 1 h 04 MIN