L’actualisation de Tobias Kratzer n’apporte rien à la lecture du récit biblique et la distribution, trop hétérogène, ne se montre pas à la hauteur des exigences de la partition.
Pour avoir assisté au Moïse et Pharaon de Rossini en 1983, monté au palais Garnier « pour rendre aux Français leur patrimoine », selon l’expression de Massimo Bogianckino, on sait la valeur de cet opéra réécrit pour la salle Le Peletier à Paris en 1827. On attendait donc de le retrouver, d’autant que la tradition aixoise a laissé d’autres souvenirs rossiniens majuscules (Semiramide en premier). La déception n’en a été que plus cruelle.
À commencer par Tobias Kratzer, qui en homme de grandes productions techniques, semblait apte à affronter le défi des Plaies, et surtout du Passage final de la mer Rouge. Il a transposé la sortie d’Égypte biblique à nos jours, dans la confrontation des nantis européens (le président de l’Europe, Pharaon, qui n’a rien d’égyptien ici, et sa cohorte de conseillers en costumes trois-pièces noirs, jupes droites et talons aiguilles) à cour, et des migrants installés à jardin dans quelques abris de fortune suant la misère.
Un peu facile, et inadéquat, mais on en a vu d’autres. Mais alors qu’on en fasse quelque chose ! Il faudra attendre la vidéo finale, avec ouverture de la mer Rouge et engloutissement des Européens, pour qu’il se passe enfin un moment digne du Grand Opéra à la française naissant.

Crédit photos : Monika Rittershaus

Bref, l’équipement technique du théâtre de l’Archevêché ne pouvait convenir. Et ce n’est pas avec une vidéo façon selfie publicitaire de la princesse promise à Amenophis qu’on aurait sauvé deux heures de platitude, mais avec une direction d’acteurs efficace. On l’attendra en vain, même d’un Moïse clin d’œil, clone du Charlton Heston des Dix commandements, mais sans son rayonnement.
Restait l’espoir d’une exécution musicale salvatrice. On ne mettra pas en cause Michele Mariotti ni le Chœur et l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, parfaitement aptes à rendre la dynamique et la séduction naturelle de cette partition adaptée au goût français des années 1820, mais faudrait-il encore que l’équipe vocale soit à la hauteur de l’éblouissement requis pour cette partition d’exception.
Vasilisa Berzhanskaya avait soulevé l’enthousiasme à Pesaro l’an dernier en Sinaïde, elle ne manque pas ce nouveau rendez-vous.
Pene Pati, victime du Covid, retrouve en cette quatrième représentation, ses moyens exceptionnels, ses couleurs, son éclat, un rien prudent encore. La Marie trop discrète de Géraldine Chauvet est excellente. Mais chez Michele Pertusi, c’est le métier qui remplace la séduction d’une voix qui ne fut jamais belle, reste puissante, mais bien terne. Le Pharaon d’Adrian Sâmpetrean est certes propre, mais inexistant, tandis que l’Éliézer de Mert Süngü est tout simplement affreux. Jeanine De Bique enfin n’a ni les qualités de vocalisation, ni le sens des couleurs et de la fluidité de la ligne pour rendre convaincante son Anaï déjà très pâle sur le plan théâtral – mais c’est de toute façon une constante pour tous. Rareté, le ballet de l’acte II, tribut obligé à l’époque à la tradition parisienne, s’avérera certes historiquement informé, mais présenté comme une manifestation de culture méprisante des nantis face aux migrants, participera au naufrage partiel d’une soirée sans vérité théâtrale ni exception vocale.
Aix-en-Provence, théâtre de l’Archevêché, le 14 juillet.