Geoffroy Couteau, lui, l’adore, il s’y plonge passionnément et y revient tout en subtilité aux côtés du Quatuor Hermès et de Raphaël Perraud.
Entre Geoffroy Couteau et l’œuvre de Brahms, c’est un amour qui dure ! Et qui n’en fi nit plus de faire l’unanimité, tant et si bien qu’il devient banal de s’en extasier. Depuis 2015, le pianiste a ainsi enregistré l’intégrale de la musique pour piano seul (La Dolce Volta, Classica n° 187), le Quintette pour piano et cordes (La Dolce Volta, Classica n° 212), les Trios pour piano et cordes et le Trio pour clarinette, violoncelle et piano (La Dolce Volta, Classica n° 218), tous accueillis par des CHOCS. On retrouve dans ces deux nouveaux albums le même geste artistique, le même jeu pur et droit qui renouvelle l’écoute d’un répertoire dans lequel le caractère monumental fut longtemps la norme, illustrant ce courrier écrit en 1857 par Johannes Brahms à son amie Clara Schumann : « Les passions n’appartiennent pas aux hommes comme des choses naturelles. Elles sont toujours des exceptions ou des exagérations. »
Indicible tendresse
Dans les Quatuors avec piano, Geoffroy Couteau et le Quatuor Hermès (Élise Liu et Omer Bouchez occupant le premier violon à tour de rôle) prennent le parti de tempos plutôt allants, ma non troppo. Choix judicieux qui fait s’envoler les lignes de ces œuvres aux larges dimensions, apportant à l’ensemble style dégraissé et cohésion. Bien sûr, ils parcourent quelques chemins tumultueux : on trouve, ici, un peu de l’émotion frémissante de Schumann (Poco adagio), là, un peu de l’allégresse dansante de Schubert (Allegro alla breve). Et la joie populaire tzigane s’invite même au détour d’un Rondo alla zingarese ! Mais ces cordes enveloppantes et ce clavier lumière, élancés, d’une tendresse indicible, ne cherchent jamais les effets de masse et canalisent leurs énergies pour leur donner plus de force encore. Tout n’est que fluidité, tact et modestie. Dans une disco graphie de haut vol – pensons par exemple à Emanuel Ax, Isaac Stern, Jaime Laredo et Yo-Yo Ma (Sony), à Isabelle Faust, Derek Han, Bruno Giuranna et Alain Meunier (Brilliant Classics), ou plus récemment à Renaud et Gautier Capuçon, Gérard Caussé et Nicholas Angelich (Erato) –, où situer ce Brahms ? Il pourrait se rapprocher, par son romantisme contrôlé, son élégance et par son équilibre, de celui du Beaux Arts Trio et Walter Trampler (Decca), n’était une différence de taille : si ces derniers tirent vers un classicisme radieux, éclairé d’un soleil d’été, Geoffroy Couteau et le Quatuor Hermès, enrobés de couleurs automnales, tournent leurs regards vers cette Vienne aux tentations progressistes, bientôt en pleine mutation.


Mystère et sobriété
Ces éclairages crépusculaires nimbent également la Sonate n° 1 pour violoncelle et piano, que l’archet de Raphaël Perraud introduit avec tendresse, fondu dans le timbre feutré du clavier : voilà que ces grandes lignes expressives flottent au-dessus des barres de mesure et transportent l’auditeur dans un paysage champêtre, entre lumière rasante et horizons orageux. Loin des contrastes appuyés, du romantisme passionné de Jacqueline Du Pré et Daniel Barenboim (Warner) ou du lyrisme de Marie-Elisabeth Hecker et Martin Helmchen (Alpha, CHOC Classica n° 184), les interprètes cherchent ici le mystère et la sobriété (il faut écouter ce sublime Allegretto quasi menuetto, dansé sur les pointes). L’efficacité du geste fait particulièrement merveille dans la fugue du dernier mouvement, lyrisme resserré dont les interprètes exaltent toute l’expressivité, tout le souffle nordique, puissants jusque dans leur retenue. Mais les voilà tout à coup insouciants dans le premier mouvement de la Sonate n° 2, illustrant la douceur de vivre, le caractère printanier de cette œuvre composée par Brahms alors qu’il séjournait sur les rives du lac de Thoune, près de Berne. Entre la romance épurée de l’Adagio affettuoso, quasi-berceuse colorée de pizzicati, la sombre chevauchée balayée de vents pénétrants de l’Allegro passionato et la joie populaire, presque schubertienne, de l’Allegro final, les interprètes incarnent Brahms en ses eaux troubles, oscillant entre vitalité et mélancolie, créant une véritable profondeur du discours.