De rares portraits et des examens anatomiques de son squelette ont permis une reconstitution en trois dimensions de la tête de Bach.

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À quoi ressemblait exactement la tête de Bach ? Avant de se glisser à l’intérieur, que sait-on de son enveloppe charnelle ? Seuls quelques (cinq ?) portraits réalisés de son vivant peuvent nous renseigner d’une façon plus ou moins juste. Tous les spécialistes considèrent le tableau réalisé à Leipzig par Elias Gottlob Haussmann en 1746, ainsi que la copie qu’il en fit en 1748, désormais tous deux visibles en cette même ville, comme la source la plus fiable. Le plus ancien servit d’ailleurs de modèle à Carl Ludwig Seffner (1861-1932) qui conçut la statue en pied dressée près de l’église Saint-Thomas à Leipzig, dévoilée en mai 1908 et qui figure en couverture de notre magazine et en ouverture de ce dossier. Haute de 2 m 45, en bronze, elle représente le compositeur avec un rouleau de papier à musique dans la main droite, un orgue derrière lui. Le sculpteur utilisa également les travaux de Wilhelm His (1831-1904), professeur suisse de physiologie et d’anatomie, qui se pencha sur un corps exhumé le 22 octobre 1894, enfermé à 2 m 50 de profondeur dans un cercueil en chêne. Il consigne en une quarantaine de pages d’une publication scientifique ses Recherches anatomiques sur les os et le visage de Johann Sebastian Bach (Anatomische Forschungen über Johann Sebastian Bach’s Gebeine und Antlitz, Leipzig, Hirzel, 1895). His y présente un homme d’environ 65 ans, qui mesurait 166,8 cm, l’inscrivant ainsi dans la moyenne d’alors et présentait, comme plus tard Liszt et Rachmaninov, des mains étonnamment grandes, d’un empan de 27 cm.

Ce cercueil fut découvert lors de travaux d’extension, accompagnés de destruction partielle, de l’église Saint-Jean à Leipzig et le fruit de différentes légendes entourant la tombe de Bach. Les restes identifiés (?) par His reposent dans la nouvelle église Saint-Jean qui sera détruite par un bombardement de la Royal Air Force, en 1943. Ils seront ensuite transférés en l’église Saint-Thomas et recouverts d’une dalle de bronze, le 28 juillet 1950, jour du deux centième anniversaire de la mort de Bach. Le chirurgien Wolfgang Rosenthal (1882-1971) profita de ce transfert pour examiner le squelette et identifia un défaut physique qu’il a appelé « maladie de l’organiste » manifestée par une excroissance osseuse au niveau du bassin.

Une prédilection pour la nourriture et le vin

Mais revenons à la tête, au visage, plus exactement. John Eliot Gardiner qui a eu, enfant, la chance insigne de croiser tous les jours le second tableau de Haussmann, déposé chez ses parents, reconnaît avoir été impressionné par l’expression sévère du compositeur. Rappelons qu’il s’agit d’un portrait on ne peut plus officiel effectué par un peintre de la ville de Leipzig et de la cour de Saxe offert par Bach à la Société pour les sciences musicales de Lorenz Mizler après son admission. Le sérieux semblait donc de mise. Bach y apparaît d’ailleurs avec, à la main, la partition d’un canon triple à six voix, signe d’un vif labeur intellectuel, et non un violon ou, à proximité, un clavecin. Il ne faut pas tirer de conclusions hâtives de ce portrait où se distinguent un crâne massif, un front fuyant, des paupières tombantes, en particulier sur l’œil droit, une légère asymétrie des yeux (de couleur bleue), des orbites peu profondes, une mâchoire proéminente et un double menton. Observant à nouveau le portrait, John Eliot Gardiner pointe « les lèvres et les bajoues charnues qui suggèrent une prédilection pour la nourriture et le vin ». Et Gilles Cantagrel d’ajouter dans son Monde de Bach, à l’entrée « Boissons » que Bach considérait le vin comme un « noble don de Dieu » et suivait les préceptes de Luther selon lesquels « Celui qui n’aime ni le vin, ni les femmes, ni le chant, Celui-là est un sot et le demeurera sa vie durant. »

En 2008, l’anthropologue Caroline Wilkinson, de l’université de Dundee, en Écosse, a proposé une reconstitution en trois dimensions de la tête de Bach à partir du portrait de Haussmann. « Certains ont dit qu’il avait l’air plutôt rougeaud, mais nous savons qu’il était en surpoids et qu’il était connu pour boire de la bière, donc nous ne pouvions pas vraiment lui donner un teint parfait »