Vox Clamantis nous conduit très haut au plus profond du terroir estonien. C’est sublime.

Cyrillus KREEK (1889-1962)
« The Suspended Harp of Babel »
Marco et Angela Ambrosini (nyckelharpa), Anna-Liisa Eller (kannel), Vox Clamantis,
dir. Jaan-Eik Tulve
ECM New Series 2620. 2018. 1 h 10

Le temps a injustement effacé sa trace, pourtant Cyrillus Kreek a connu une renommée certaine en son temps et son travail de collecte et d’arrangement des mélodies traditionnelles continue d’alimenter le répertoire de toutes les chorales du pays. Le compositeur estonien ne cherche pas la modernité du langage. Comme d’autres à son époque, il tente davantage de combiner traditions populaires et langage savant. Il en résulte un subtil mélange de couleurs et de sonorités, tantôt faussement médiévales, tantôt traditionnelles. Et l’on a la sensation de remonter le temps au fil des pistes.

Impossible de s’ennuyer à travers cette sélection d’œuvres qui nous emmènent d’harmonies riches et joyeuses (Whilst Great is our Poverty) en psalmodies scandées (Jacob’s Dream) en passant par des chorals (By The Rivers of Babylon). Parfois ces multiples influences se rencontrent au sein d’une seule et même œuvre. C’est le cas d’Awake, My Heart qui alterne danses rythmées, voix seule a cappella et polyphonies dans le style choral. Les timbres instrumentaux accentuent la sensation d’exotisme. La nickelharpa, avec ses sonorités percussives dues aux imposantes touches que manipulent les instrumentistes, crée un son hybride.

Même sans élément de comparaison, il paraît évident que la musique de Kreek est sublimée par l’ensemble Vox Clamantis. La beauté tient autant à l’interprétation qu’à la musique. Dès l’ouverture, The Sun Shall not Smite Thee saisit par la plénitude timbrée des voix d’alto qui se meuvent à travers leur ligne mélodique comme un chanteur soliste. Rien ne dépasse. L’entrée du chœur d’hommes ensuite impose, sans effet caricatural, les graves incomparables des voix slaves. La direction de Jaan-Eik Tulve est impeccable : même avec une pulsation libre, les chanteurs restent parfaitement synchronisés et remarquablement homogènes. Même les respirations deviennent musicales. On ne peut qu’admirer un tel travail.