Beatrice Rana explose les clichés et surprend avec un Chopin inouï. C’est de la bombe !

À l’opposé de Seong-Jin Cho qui, le mois dernier, conciliait clarté et équilibre dans les Scherzi (Deutsche Grammophon, CHOC, Classica n° 235), Beatrice Rana y convoque l’orchestre et le théâtre (voir notre entretien p. 66-70). Elle pousse un cri de colère dans un Scherzo n° 1 qui voit ses piliers formels bouleversés.

Le Scherzo n° 3, lisible et héroïque sous les doigts du pianiste coréen, fait trembler par sa puissance narrative, imprévisible et envoûtante, dont la folie mène à un dénouement tragique digne d’une ballade de Brahms. L’Italienne ose creuser un relief dans le bel canto du Scherzo n° 4 et commande un piano orageux dont le jeu de pédale secouera les puristes sans pourtant risquer le hors-sujet.

Sa traversée des Études ne fait que confirmer son immense pouvoir créatif. La harpe de l’Étude n° 1 se montre dionysiaque et sensuelle, loin de la transparence d’une Zlata Chochieva (Piano Classics, 2014) ou d’un Lukas Geniušas (Dux, 2011), pour ne citer que des versions récentes.

Toucher d’elfe dans l’Étude n° 6, en sol dièse mineur, où l’on ne fait plus la distinction entre le rire d’un diable ou d’une muse. Maurizio Pollini aurait souligné l’impact de la miniature dont la concentration apporte une signification profonde. Pour Beatrice Rana, ce sont les détails qui prennent vie, chaque trait dessinant un monde riche et vaste où volettent des papillons de Schumann et souffle un vent homérique. On y entend la poésie d’Abbey Simon (Vox, 1976), une virtuosité créative qui dépasse celle de Murray Perahia (Sony Classical, 2001) et une audace prodigieuse que seul Grigory Sokolov (Opus 111, 1995) osait. À tout juste 28 ans, la pianiste italienne enterre pour de bon le portrait d’un compositeur frêle et lui dessine un nouveau visage, étrange et merveilleux.

Frédéric Chopin
(1810-1849)
Études, op. 25. 4 Scherzi
Beatrice Rana (piano)
Warner Classics 01902967644240.
2020-2021. 1 h 16