Lumières sur Brahms
Ne reculant devant aucun défi, le pianiste et chef d’orchestre András Schiff vient d’enregistrer les deux concertos de Brahms secondé par l’Orchestre de l’âge des Lumières dans une version philologique chez ECM New Series.
Quel est votre préféré entre les deux concertos pour piano de Brahms ? Et au disque ?
Il m’est impossible de choisir, je les adore tous les deux. Le premier est la création d’un jeune homme, le second une œuvre mature d’un compositeur avec de l’expérience et de la confiance en lui. Les deux sont des symphonies avec « piano obligato ». Cependant, le Deuxième Concerto devient de la musique de chambre dans les troisième et quatrième mouvements. Brahms s’inscrit dans la tradition de Mozart, Beethoven et Schumann. Le piano n’est pas le soliste virtuose comme dans un concerto de Chopin ou de Liszt, mais le primus inter pares. Au disque, j’aime Solomon avec Kubelik, Serkin avec Szell, Curzon avec Szell (Opus 15) et Edwin Fischer avec Furtwängler (Opus 83).
Pourquoi avoir choisi des instruments d’époque, tant pour l’orchestre que le piano ?

Crédit photo : SDP
L’Orchestre de l’âge des Lumières est très polyvalent. Il joue un jour du Monteverdi, puis du Mozart, du Beethoven ou de la musique romantique. Avec différents instruments et différents styles. Grâce à leur expérience des traditions historiques d’interprétation, ils abordent Brahms de manière originale. Il y a plusieurs questions importantes à prendre en compte. Par exemple, le vibrato des cordes, le portamento, l’intonation des bois, etc. Nous avons essayé de faire à la fois un travail de restauration et de présenter la musique comme si elle était nouvelle, sans l’épaisseur et la pesanteur des dernières décennies. Le piano est un Blüthner des années 1850, fabriqué à Leipzig. C’est un instrument merveilleux et parfait pour Brahms. Il aimait lui-même ces pianos et en jouait souvent. Il est intéressant de noter que Debussy aimait aussi le Blüthner, lui qui cherchait un « piano sans marteaux ». C’est aussi ce que j’aime, un instrument chantant, jamais percussif. Avec des registres très distincts.
N’est-ce pas très difficile de diriger ces œuvres du clavier ? Peu s’y risquent.
À mon âge, tout est difficile. Il y a différentes sortes de défis, musicaux, intellectuels, physiques, techniques, psychologiques. Le Deuxième Concerto a la réputation, parmi les pianistes, d’être extrêmement difficile sur le plan technique, ce qui fait peser un poids supplémentaire sur nos épaules. Mais les deux concertos sont complexes pour l’esprit, le corps, l’âme. Bien sûr, ces concertos ont besoin d’un chef d’orchestre, mais dans de bonnes circonstances, ils peuvent être joués sans chef. Et avec cet orchestre, nous nous comprenons si bien, sans mots. Comme en musique de chambre. En fait, pour moi, c’est beaucoup plus difficile avec un chef d’orchestre : il faut rester assis pendant les tutti ! J’ai eu des expériences mémorables avec Kurt Sanderling, Bernard Haitink, Mariss Jansons, Iván Fischer, David Zinman, Riccardo Muti, Sir Georg Solti… Mais la direction d’orchestre me donne l’occasion d’être responsable du déroulement de l’œuvre.
Propos recueillis par Olivier Bellamy